Mook Mars

Le rêve martien de Von Braun

Le rêve martien de Von Braun

À ses heures perdues, alors qu’il est en semi-captivité aux USA dans l’immédiat après-guerre, Wernher von Braun envisage une expédition sur Mars. Ce premier projet martien, bien qu’irréaliste par son ampleur, permet néanmoins d’identifier en théorie les problèmes que pourrait rencontrer pareille expédition.

Quand un savant s’ennuie…

Wernher von Braun est passé à la postérité pour avoir permis aux États-Unis de mettre en premier le pied sur la Lune. Il est aussi connu pour avoir travaillé sous la direction de Walter Dornberger à la mise au point du missile V2. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le savant allemand négocie une nouvelle vie aux USA en échange du transfert technologique de l’avance acquise par l’Allemagne nazie dans le domaine des missiles balistiques. Le 20 juin 1945, son acceptation sur le sol américain est validée par Washington.

Arrivé outre-Atlantique le 20 septembre suivant, von Braun et les premiers membres de son équipe passent par l’Aberdeen Proving Ground pour trier la documentation technique sauvée de justesse d’Allemagne au nez et à la barbe de l’Armée rouge. Rejoint par le reste de ses collaborateurs, il est transféré à Fort Bliss au nord d’El Paso pour remettre des V2 en état de tir et commencer à instruire les scientifiques US. Pour l’ingénieur allemand, c’est une pénible période de vaches maigres : il écrira plus tard qu’il trouvait difficile de développer un « véritable attachement émotionnel » à son nouvel environnement. Son chef de projet, l’ingénieur Walther Reidel, se retrouve au cœur d’une polémique à la suite d’un article paru en décembre 1946 où il est précisé son peu de goût pour l’American way of life : Un scientifique allemand dit que la cuisine américaine est sans goût ; n’aime pas le poulet caoutchouté… Le papier révèle la présence de l’équipe de von Braun sur le sol américain, attirant les critiques d’Albert Einstein. Alors qu’à Peenemünde, le centre d’essais de l’armée allemande où il a mis au point ses missiles, il avait des milliers d’ingénieurs dans ses équipes, il se trouve ici subordonné à Jim Pimply, un major de 26 ans titulaire d’un diplôme de base du génie américain1. De plus, chacune de ses propositions de nouvelles idées de fusée est rejetée. C’est donc un ingénieur brillant et sûrement hyperactif mais un peu désœuvré qui cherche à occuper son temps libre. En 1948, il s’employe à réaliser ses premiers calculs de faisabilité pour un voyage vers Mars. Ils sont censés servir de base réaliste à un roman que von Braun écrit à la même époque, mettant en scène une expédition vers la planète rouge. Le seul outil de calcul dont il dispose est une règle à calculer2.

On est bien loin du matériel aujourd’hui disponible pour préparer les projets spatiaux… Ces projections mathématiques sont ajoutées en annexe à la fin de l’ouvrage de fiction qu’il rédige. Les résultats de ses analyses préliminaires sont présentés par le savant au planétarium Hayden de New York en 1951 à l’occasion du premier symposium consacré aux vols spatiaux. Ils sont ensuite publiés en allemand en 1952 dans les pages de la revue Weltraumfahrt, puis sous la forme d’un livre portant le titre de Das Marsprojekt (Le projet Mars) la même année. Traduit en anglais, il est publié aux États-Unis l’année suivante. Mais le roman lui-même n’est publié qu’en décembre 2006.

L’intégralité de cette enquête passionnante est à découvrir dans le premier numéro du mook Mars disponible dans toutes les bonnes librairies et sur notre e-shop.

Une enquête réalisée par Hugues Wenkin,
ingénieur en process d’automation.

1. Brzezinski, M., Red Moon Rising : Sputnik and the Hidden Rivalries That Ignited the Space Age, New York, 2007, p. 84-92.

2. Von Braun, W., The Mars Project, Chicago, 1991, p. XV (introduction à la préface de 1962).

Crédit photographique © NASA