Frank De Winne, directeur du centre d’entraînement des astronautes de l’ESA, ancien astronaute
« Il ne suffit pas de rassembler l’élite mondiale dans chaque discipline pour former la meilleure équipe. En sport comme dans l’exploration spatiale, il y a beaucoup plus de subtilités que cela à former le groupe le plus adéquat pour la tâche demandée. À l’approche des missions habitées vers la Lune et vers Mars, les contraintes évoluent et vont nécessiter de nombreuses adaptations. »
Tout d’abord, j’aimerais revenir sur le rôle de commandant que vous avez eu dans la Station spatiale internationale (ISS). Pourriez-vous nous expliquer ce que représente exactement ce poste au cours d’une mission spatiale et ce que cela signifie au quotidien ? Est-ce que l’on peut vraiment dire qu’il existe une hiérarchie dans l’équipage ou bien est-ce plutôt un système horizontal ? Et dans quelle mesure le commandant peut-il faire valoir ses ordres, par rapport à ceux qui proviennent du sol ?
Frank De Winne : Il est important de comprendre que, dans les opérations quotidiennes, le chef de la Station spatiale internationale n’est pas le commandant, mais c’est plutôt le Flight Director (« Directeur de vol »), qui lui se trouve au sol, à Houston (comme du temps d’Apollo). L’équipage doit « simplement » exécuter le plan de vol qui a été décidé au sol et transféré sur la station.
Le rôle principal du commandant est tout d’abord de s’assurer qu’il y a une bonne atmosphère (sans jeux de mots…) à bord, que tout le monde peut travailler ensemble et que le plan de vol peut être exécuté sans encombre. En cela, il s’agit vraiment d’un management horizontal et personne ne peut dire à quiconque de faire ceci ou cela sous prétexte qu’il serait le commandant. Les astronautes sont tous spécialistes dans des domaines différents, et le commandant ne peut évidemment pas prétendre être un expert dans tous les domaines et dicter aux autres ce qu’ils devraient faire.
Le commandant a néanmoins un rôle prépondérant au cours de l’entraînement et son but est de créer un vrai esprit d’équipe. Les astronautes viennent de différentes agences spatiales dans différents pays et on leur demande de former une entité unie afin de vivre six mois ensemble dans un très petit volume. Ce n’est pas facile et l’objectif du commandant est de s’arranger pour que cela fonctionne. Il est entre autres en charge de la création d’un logo pour l’expédition qui sera porté sous forme de patch sur les vêtements de l’équipage. Ceci fait partie de toute une somme de détails qui contribueront à souder un groupe qui devra travailler en synergie lorsqu’il sera à bord de l’ISS et c’est la condition sine qua non pour que la mission soit un succès. Le vrai rôle du commandant est celui-ci et non de décider ce qu’il faut faire à chaque instant. Les procédures et l’emploi du temps sont gérés par les personnels au sol.
Toutefois, il y a une seule exception à cela : les scénarios d’urgence. Dans ce cas, l’autorité de l’ISS est automatiquement transférée au commandant. Il est évident que s’il y a un incendie à bord de la station, personne n’a envie d’attendre que le sol donne ses instructions. Il faut être capable d’agir rapidement. Dans ce genre de situation, le commandant de la station dirige l’équipage. Nous nous entraînons très souvent à cela avec l’intégralité des six membres d’équipage. Il y a bien sûr là aussi toujours des procédures à suivre, mais elles sont en général très génériques (pas comme dans le domaine de l’aviation) car, pour un incendie par exemple, on ne sait jamais où celui-ci va se produire et quelle sera son ampleur. Il faut donc en premier lieu faire le bilan sur la situation, puis rapidement décider de la meilleure action possible. De manière générale, tout ce que l’équipage peut entreprendre est organisé autour de trois priorités, qui sont par ordre d’importance : 1) sauver l’équipage ; 2) sauver la station spatiale ; 3) sauver la mission.
L’intégralité de l’interview de Franck De Winne est à découvrir dans le premier numéro du mook Mars disponible dans toutes les bonnes librairies et sur notre e-shop.
Interview réalisée par Jérémy Rabineau,
Ingénieur aérospatial
Crédit photographique © ESA